Contrat rompu sans démission ni licenciement

Jurisprudence de la Cour de cassation - Contrat rompu sans démission ni licenciementJurisprudence de 2010, concernant une affaire survenue en 1984. Et donc bien antérieure à l’instauration d’une présomption de démission de l’abandon de poste qui a pris effet le 19 avril 2023. Voir en conclusion de cet article, mis à jour le 13 juin 2023.

Lorsque le salarié demande une indemnisation pour licenciement abusif, alors que l’employeur l’a considéré comme démissionnaire, le juge doit imputer la rupture, dit la Cour de cassation qui, dans cette situation, considère le contrat rompu. Sauf à garder le salarié à l’effectif et à accepter son éventuel retour, l’employeur doit engager la procédure consécutive à l’abandon de poste. Avant il pouvait licencier le salarié. Depuis le 19 avril 2023, il peut le considérer comme démissionnaire, si le salarié n’a ni repris son poste, ni valablement justifier son absence.

Le contexte de l’abandon de poste : absence de démission et de licenciement

Une  contractuelle de l’enseignement privé, engagée en 1984, avait été affectée au sein de l’association Provence formation. La salariée a demandé au rectorat (avec copie à l’établissement) un congé d’une année renouvelable à compter du 1er septembre 2003, par une lettre du 11 août 2003 restée sans réponse. Elle s’est cependant absentée, abandonnant son poste. Début 2004, revenue en France plus tôt que prévu, elle a sollicité sa réintégration. En réponse, l’association reprenant la position du rectorat l’a informé, par lettre du 5 avril 2004, qu’elle était considérée comme démissionnaire et devait donc postuler sur un poste vacant.

Le contentieux prud’homal

L’enseignante, estimant que son contrat de travail avait été rompu abusivement, a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes indemnitaires. Le conseil de prud’hommes a donné satisfaction à la salariée, mais l’employeur a fait appel.

L’arrêt de la Cour d’appel

L’arrêt de la Cour d’appel infirme le jugement du conseil de prud’hommes en considérant que le contrat de travail était donc toujours valide, puisque :

  • la salariée n’a pas démissionné : la démission ne se présume pas et son courrier n’exprimait pas une volonté claire et non équivoque de démissionner, il indiquait même qu’elle demandait un congé d’une année.
  • l’employeur (qui l’avait considérée démissionnaire) ne l’a pas licenciée.

Sur cette considération, la cour d’appel a débouté la salariée, puisque [selon la cour] le contrat de travail n’était pas rompu, il ne pouvait y avoir d’indemnisation d’un licenciement (Cour d’appel d’Aix-en-Provence, du 12 mars 2009).

A la suite de cet arrêt, la salariée déboutée a formé un pourvoi en cassation.

Les arguments de la salariée

Selon l’argumentation de la salariée :

Le juge ne peut pas modifier l’objet du litige tel que déterminé par les prétentions respectives des parties. Or, la salariée a fait valoir que les relations contractuelles avaient cessé entre les parties et, de son côté, l’employeur [l’association, ou le rectorat] l’a considéré comme démissionnaire.

Les deux parties étant d’accord sur le fait que la relation de travail était rompue, la seule question posée à la Cour d’appel était celle de la nature et de la responsabilité de la rupture.

L’employeur qui prend l’initiative de rompre le contrat ou le considère rompu du fait du salarié doit mettre en œuvre la procédure de licenciement et à défaut, la rupture s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La Cour d’appel, qui n’a pas recherché, si l’employeur en refusant de confier un poste de travail à la salariée à l’issue de son congé [ou abandon de poste puisque le congé n’avait pas été accepté], n’avait pas rendu impossible la poursuite du contrat de travail et provoqué sa rupture de fait s’analysant en un licenciement, a privé sa décision de base légale.

L’arrêt de la Cour de cassation

Après avoir rappelé que pour débouter la salariée, l’arrêt de la cour d’appel avait retenu que la salariée n’était pas démissionnaire, que l’employeur qui l’avait considérée comme telle par son courrier du 5 avril 2004 ne l’avait toutefois pas licenciée, que le contrat de travail était donc toujours en cours, la Cour de cassation a décidé :

« Qu’en statuant ainsi, alors que le juge saisi de demandes d’indemnisation pour licenciement abusif qui retient que l’employeur a considéré sa salariée comme démissionnaire ne peut que statuer sur l’imputabilité de la rupture, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

Par ces motifs et sans avoir besoin de statuer sur les autres arguments, la Cour de cassation a cassé et annulé, dans toutes ses dispositions, l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence et a renvoyé les partie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence (Cour de cassation, chambre sociale, 17 novembre 2010, N° : 09-42227).

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Conclusion :

Si un employeur a considéré un salarié comme démissionnaire et que celui-ci demande une indemnisation pour licenciement abusif à la justice prud’homale, la juridiction doit statuer sur la responsabilité de la rupture. Elle ne peut pas considérer que le contrat n’est pas rompu. Ce principe reste valable. Pour cela, la juridiction devait tenir compte du principe selon lequel la démission ne pouvait résulter que d’une manifestation claire et non équivoque de volonté de rompre le contrat de travail (jurisprudence ancienne de la Cour de cassation). Mais la loi a depuis créé une présomption de démission.

Avant la modification entrée en vigueur en avril 2023

En l’absence d’une démission claire et non équivoque, l’employeur pouvait reprocher à son salarié l’abandon de poste et procéder sur ce motif à son licenciement pour faute grave après une mise en demeure infructueuse. A défaut, il ne pouvait pas considérer que le salarié avait démissionné, car dans le cas contraire la rupture était imputable à l’employeur et qualifiée d’abusive.

Depuis la modification entrée en vigueur en avril 2023

Après mise en demeure du salarié dans les conditions prévues par le code du travail,  si le salarié ne reprend pas son poste sans justifier d’un motif légitime de nature à faire obstacle à la présomption de démission, l’employeur peut considérer que ce salarié a démissionné. Mais, attention, le salarié pourra contester la présomption de démission devant les prud’hommes.

Article rédigé par Pierre LACREUSE : Sciences-Po Paris, licence en droit et DESS Université de Paris I Panthéon-Sorbonne. Ancien Directeur de la Gestion du personnel et des Relations Sociales, DRH, puis chef d’entreprise (PME). Et dernièrement éditeur juridique et relations humaines sur internet.

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Source : Jurisprudence de la Cour de cassation – Légifrance.gouv.fr.

 

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