Formulation d’une mise en demeure
La formulation d’une mise en demeure revêt une extrême importance. Une mise en demeure de justifier son absence (en objet de la lettre), qui ne le demande pas assez clairement au salarié, s’emploie à caractériser son manquement à ses obligations et le met en garde, peut être considérée comme un avertissement. La formulation d’une mise en demeure peut donc rendre sans cause réelle et sérieuse un licenciement prononcé sans être motivé par un comportement fautif ultérieur suffisamment sérieux. Jurisprudence de la Cour de cassation.
L’abandon de poste et la mise en demeure
Un salarié de 45 ans, ayant une ancienneté de près de 20 ans dans l’entreprise et exerçant en dernier lieu les fonctions de directeur de projet dans le secteur des télécoms, ne s’est pas présenté au travail le 28 septembre 2009, sans avoir ni prévenu son employeur ou le client pour lequel il assurait une mission urgente. Il n’a pas ensuite repris son poste, ni envoyé de justificatifs.
Après avoir vainement tenté de le contacter, son employeur, la société T-Systems, lui a fait parvenir, le 2 octobre 2009, une lettre de « mise en demeure de justification d’absence », lui rappelant qu’en cas d’absence, il était contractuellement tenu de prévenir son employeur et fournir des justificatifs et que son comportement constituait un manquement aux règles de discipline, particulièrement aux dispositions de l’article 7.5 du règlement intérieur et qu’il ne pourrait continuer à tolérer cela.
Le salarié n’ayant pas donné de nouvelles suite à cette lettre, l’employeur a procédé à son licenciement pour faute par lettre reçue le 23 octobre 2009. Dès le mois de novembre, l’ancien salarié a retrouvé un emploi, mais avec une rémunération moindre.
Le contentieux portant sur la formulation de la mise en demeure
Le salarié licencié suite à son abandon de poste a saisi le conseil de prud’hommes qui lui a donné satisfaction.
Par contre, la cour d’appel a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse en considérant que la lettre du 2 octobre 2009 constituait une sanction qui épuisait le pouvoir disciplinaire de l’employeur. La cour avait relevé que cette lettre indiquait que le comportement du salarié constituait un manquement aux règles de discipline que l’employeur ne pourrait continuer à tolérer et qu’elle ne formalisait « aucune mise en demeure du salarié d’avoir à justifier de son absence ». La cour, tenant compte de l’âge, de l’ancienneté, du retour rapide à un emploi et de la perte de revenu du salarié a condamné la société T-SYSTEMS à payer au salarié des dommages-intérêts d’un montant de 85.000 euros. (Cour d’appel de Versailles, du 6 novembre 2013).
Le pourvoi en cassation de l’employeur
L’employeur faisant grief à la cour d’appel de son arrêt, la société a formé un pourvoi en cassation.
L’employeur a fait valoir :
- qu’une lettre par laquelle l’employeur rappelle au salarié absent son obligation de prévenir en cas d’absence et de fournir des justificatifs et le met en demeure de justifier des raisons de son absence n’est pas une sanction disciplinaire.
- et qu’en conséquence, une telle mise en demeure n’interdit pas à l’employeur, si le salarié ne lui fournit aucun justificatif valable, de prononcer ensuite une sanction disciplinaire.
Selon l’employeur, la cour d’appel a violé l’article L. 1331-1 du code du travail par fausse application, en retenant que la lettre du 2 octobre 2009 constituait une sanction épuisant le pouvoir disciplinaire de l’employeur, au motif [selon lui] inopérant qu’il y était indiqué que le comportement du salarié ne pourrait continuer à être tolérer. Par ailleurs, selon lui, la cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis de la lettre du 2 octobre 2009 en n’y trouvant aucune formalisation d’une mise en demeure.
L’arrêt de la Cour de cassation
La Cour de cassation a jugé « qu’ayant relevé, sans la dénaturer, que la lettre du 2 octobre 2009 bien que portant en objet « mise en demeure de justification d’absence » ne demandait pas au salarié de justifier de son absence mais s’employait à caractériser un manquement avéré aux règles de disciplines énoncées au règlement intérieur et l’avertissait [que l’employeur] ne pourra plus tolérer une telle attitude portant préjudice aux missions qui lui sont confiées et à l’organisation du service, la cour d’appel a justement décidé que cette lettre constituait un avertissement, en sorte que les mêmes faits ne pouvaient plus justifier le licenciement ; que le moyen n’est pas fondé ».
Par cette motivation, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi (Cour de cassation, chambre sociale, 18 mars 2015, N° : 13-28481).
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Résumé : Cet arrêt devrait fortement inciter les employeurs et les salariés à accorder la plus grande attention à la formulation de la lettre de mise en demeure consécutive à un abandon de poste supposé.
La Cour de cassation a jugé qu’une lettre indiquant pourtant en objet « mise en demeure de justification d’absence » sans que cette demande soit [par ailleurs] formulée et dans laquelle l’employeur reproche au salarié un manquement aux règles disciplinaires et le prévient qu’une telle attitude portant préjudice à son travail et à l’organisation du service, ne pourrait plus être tolérée, constitue un avertissement (ce qui rend impossible une nouvelle sanction pour ce même motif, en raison du principe non bis in idem, selon lequel une même faute ne peut faire l’objet de deux sanctions successives). L’arrêt de la cour d’appel déclarant le licenciement sans cause réelle et sérieuse s’en est trouvé confirmé.
Conclusion : une mise en demeure doit expressément demander dans le corps de la lettre au salarié de justifier son absence et/ou de reprendre son poste et ne doit pas caractériser le manquement fautif du salarié à ses obligations et/ou le mettre en garde, faute de quoi un licenciement prononcé sur ce même motif, sans être appuyé sur un comportement fautif ultérieur suffisamment sérieux, pourra être déclaré sans cause réelle et sérieuse.
Article rédigé par Pierre LACREUSE, Sciences-Po Paris, licence en droit et DESS Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, ancien Directeur de la Gestion du personnel et des Relations Sociales, DRH, puis chef d’entreprise (PME), aujourd’hui éditeur juridique et relations humaines sur internet.
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Sources : Jurisprudences de la Cour de cassation – Légifrance.gouv.fr ; code du travail.
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